L’institut de Francfort a réduit son taux directeur de 4 % à 3,75 %, jeudi 6 juin, mais il prévient que l’inflation va rester élevée encore longtemps dans la zone euro.

Avec la plus grande des prudences, sans s’engager d’aucune manière sur l’avenir, la Banque centrale européenne (BCE) a décidé, jeudi 6 juin, de baisser ses taux d’intérêt d’un quart de point, de 4 % à 3,75 %. Bien que largement préannoncée et sans surprise, la mesure marque une nouvelle phase dans la lutte contre l’inflation dans la zone euro.

La première phase a été la plus forte hausse des taux d’intérêt de l’histoire de l’institution, de − 0,5 % à 4 %, entre juillet 2022 et septembre 2023. Ensuite, une période de stabilisation s’est ouverte. Commence désormais celle de la baisse. Mais à quel rythme ? Interrogée à de multiples reprises sur le sujet durant sa conférence de presse, Christine Lagarde, la présidente de l’institution monétaire, a systématiquement refusé de répondre.

« Nous ne nous préengageons pas à une trajectoire particulière des taux », a déclaré la présidente. Les décisions seront prises « réunion après réunion » et « dépendront des données économiques ». Les marchés financiers anticipent deux à trois baisses en 2024 : ont-ils raison ? « Les marchés financiers font ce qu’ils ont à faire, et nous faisons de même », rétorque Mme Lagarde.

Ce refus de répondre souligne l’équilibre délicat auquel fait face la BCE. Son mandat est de maintenir l’inflation autour de 2 %. Celle-ci a fortement baissé, de 10,6 % en octobre 2022 à 2,6 % en mai. Mais ces derniers mois, le recul a ralenti. Entre avril et mai, l’inflation a même légèrement augmenté (de 2,4 % à 2,6 %).

« L’inflation domestique reste élevée »

La bonne nouvelle est que les deux énormes chocs externes subis par la zone euro, qui expliquent l’envolée des prix, sont terminés. Les chaînes d’approvisionnement, profondément désorganisées lors de la sortie de la pandémie de Covid-19, fonctionnent de nouveau relativement bien. Le choc énergétique, conséquence de la fermeture des gazoducs par Vladimir Poutine à l’été 2022, est résorbé. La mauvaise nouvelle est que les effets secondaires de ces secousses se ressentent encore à travers l’économie.

Dans le même temps, la BCE est très légèrement plus optimiste pour la croissance, tablant sur une hausse du produit intérieur brut de 0,9 % en zone euro cette année (contre une prévision de 0,6 % en mars) et de 1,4 % en 2025. « Après cinq trimestres de stagnation, l’économie a augmenté de 0,3 % au premier trimestre (…) et nous prévoyons que la reprise continuera », affirme Mme Lagarde. Rien de spectaculaire, mais baisser les taux d’intérêt alors que l’économie s’améliore représente un paradoxe pour une banque centrale.

Refus d’aller trop vite

Dans ces circonstances, ses vingt-six gouverneurs continuent à surveiller comme le lait sur le feu l’évolution des salaires. En progression de presque 5 % dans la zone euro au premier trimestre (sur un an), ceux-ci rattrapent une partie du pouvoir d’achat perdu ces dernières années. Risquent-ils de déclencher une hausse des prix autoentretenue ?

La réponse est incertaine, dit la présidente de la BCE. « On constate une divergence entre les pays. (…) En Allemagne, par exemple, les accords salariaux se négocient souvent tous les trois ans. Ç’a été le cas récemment dans la fonction publique, où la perte de pouvoir d’achat a maintenant été entièrement compensée, avec une hausse de 12 % [des salaires]. » La question est de savoir si de tels accords, substantiels, seront répliqués par la suite ou s’il s’agit d’un simple effet de rattrapage.

Ce refus d’aller trop vite dans la baisse des taux directeurs commence à se ressentir sérieusement sur les marchés financiers. Le rendement des obligations françaises à dix ans, qui était descendu à 2,4 % en décembre, est remonté à 3 %. Ce qui rend le financement du déficit français un peu plus coûteux.

« Nous ne pensons pas que la BCE baissera ses taux fortement et rapidement, conclut Ann-Katrin Petersen, stratégiste pour l’Allemagne et l’Autriche à BlackRock, une société de gestion. Comme avec le récent cycle de hausses, il ne s’agit pas d’un cycle de baisses typique. Nous ne retournerons pas dans le monde d’avant, où l’inflation était constamment en dessous de l’objectif de 2 %. »

Un risque d’affaiblissement de l’euro

En baissant ses taux jeudi, la BCE rejoint les banques centrales de Suisse, de Suède et du Canada, qui ont déjà pris des décisions similaires. Ce n’est cependant pas le cas des Etats-Unis. L’inflation y reste élevée – à 3,4 % en avril (sur douze mois) –, et elle est, en particulier, forte dans les services. Dans ce contexte, la Réserve fédérale américaine (Fed) repousse régulièrement les espoirs d’une baisse des taux. Anticipée initialement à la fin du premier trimestre, puis au printemps, celle-ci n’aura finalement pas lieu avant le deuxième semestre, au mieux.

Or, la divergence entre la Fed et la BCE va attirer les investisseurs vers les Etats-Unis, où les taux d’intérêt seront comparativement plus généreux. Cela risque d’affaiblir la monnaie unique et de renchérir mécaniquement les prix du pétrole et du gaz, généralement libellés en dollars. Ce mécanisme pourrait nourrir l’inflation européenne, forçant la BCE à maintenir ses taux d’intérêt à un niveau élevé. Le chemin de la normalisation de la politique monétaire sera décidément long.

Source "Le Monde"